Barbara Abel, l'écrit à l’écran
Ce vendredi 14 mars, la Foire du livre de Bruxelles accueillera la programmation de l’évènement « Book-to-screen », initié par la Frankfurter Buchmesse et coorganisée ici en partenariat avec la SACD, Bela, le Bureau Europe Créative de la Fédération Wallonie-Bruxelles et play.brussels. Dans ce cadre, les liens entre l’écrit et l’écran seront mis à l’honneur en proposant aux professionnel·les des rencontres entre auteur·ices, producteur·ices, éditeur·ices et agences. L’évènement accueille également une masterclass avec Mac Hawkins animée par Niki Théron ainsi qu’une table ronde rassemblant Barbara Abel, Maÿlis Vauterin, Delphine Clot, Sophie Abellan, Niki Théron et Karla Kutzner qui approfondiront divers enjeux de l’adaptation, au micro de Morgane Batoz-Herges. Rencontre avec Barbara Abel, écrivaine et scénariste dont plusieurs romans ont été adaptés sur petit ou grand écran, en Europe et aux Etats-Unis.
Juliette Mogenet – Bonjour Barbara ! Avant toute chose, parlez-moi de votre parcours d’écriture : vous avez commencé à écrire pour le théâtre, puis vous avez bifurqué vers l’écriture de romans. Comment ça s’est passé ?
Barbara Abel – Après avoir étudié les langues romanes, je me suis formée pour être comédienne. J’ai surtout fait du théâtre de rue et j’ai effectivement écrit une pièce à l’époque, dans laquelle j’ai joué. J’ai fait plein de métiers différents. J’écrivais sur le côté depuis longtemps : des nouvelles, un autre roman qui n’a jamais été édité… Un jour, Serge Brussolo, qui était directeur éditorial aux éditions du Masque a lu un de mes textes. Il m’a dit que si j’avais un projet de roman, il fallait que je le lui soumette. Ce que j’ai fait ! C’était « L’instinct maternel », en 2002. Il l’a ensuite proposé aux Prix Cognac, et je l’ai obtenu. C’est comme ça que tout a démarré ! J’ai publié ce premier roman, puis un deuxième, puis un troisième… A un moment donné, j’ai pris conscience que j’étais devenue romancière alors que je me destinais à être comédienne !
JM - C’était votre premier roman policier ? Pourquoi ce genre littéraire en particulier ?
BA - Je n’écris en fait pas de romans policiers, parce qu’il n’y a pas d’enquête dans mes romans. Je fais plutôt du thriller, du polar : une succession d’évènements arrive aux personnages. J’ai avant tout écrit une histoire que j’aimais, que je trouvais intéressante, avec des rebondissements, des personnages qui évoluent, mais je ne m’étais pas dit initialement « je vais écrire un thriller ! ». Par ailleurs, les Editions du Masque publient ce genre de texte, donc je n’allais pas écrire une histoire d’amour (rires) ! Après ça, j’ai continué dans cette catégorie alors qu’initialement je n’avais pas spécialement une grande culture du polar ou du thriller…
JM - Plusieurs de vos œuvres ont été adaptées à l’écran : votre second roman « Un bel âge pour mourir » paru en 2003 est adapté quelques années plus tard en téléfilm pour France 2 sous le titre « Miroir mon beau miroir ». Ensuite, votre roman « Derrière la haine » paru en 2012 est adapté en 2019 par le réalisateur Olivier Masset-Depasse dans une production franco-belge sous le titre « Duelles ». Un remake de ce film est ensuite réalisé aux Etats-Unis sous le titre « Mother’s Instinct », sorti en 2024. Concrètement, comment ça se passe, comment se prend la décision de produire une adaptation audiovisuelle d’un roman ? Est-ce que ce sont les maisons d’éditions qui proposent des projets aux boîtes de production ?
BA – Ca dépend vraiment des projets ! Pour l’adaptation en téléfilm de « Un bel âge pour mourir », j’avais rencontré le réalisateur Serge Meynard au Festival de Cognac, où j’étais pour mon premier roman. Il l’avait lu et aimé et a essayé de l’adapter, mais ça n’avait pas fonctionné. Quand « Un bel âge pour mourir » a été publié, il l’a aimé à nouveau et cette fois a réussi à l’adapter. Pour « Derrière la haine », c’est Anne Coesens qui avait lu et aimé le livre et l’avait fait lire à Olivier Masset-Depasse, qui a ensuite voulu le réaliser. Sur France 2 va bientôt paraître une série adaptée de mon roman « Je sais pas », qui a été publié en 2015. Là, c’est Alexandra Buchman, qui s’occupe des droits audiovisuels pour le groupe Editis, qui a rencontré des producteurs et leur avait fait lire le roman. L’un d’eux a acheté les droits. Et pour « Mother’s Instinct », l’adaptation américaine, en fait c’est « Duelles » qui a été présenté au festival de Toronto. Jessica Chastain était dans la salle, et elle a racheté les droits de remake du film !
JM - Quelle a été votre place d’autrice dans les adaptations cinématographiques de vos œuvres ? Est-ce qu’on vous demande votre avis ? Comment ça se construit, comment collaborez-vous avec les équipes qui travaillent sur le scénario ?
BA - Quand le contrat est en cours de négociation, il y a toujours un moment où ma maison d’édition me demande si je veux participer à l’adaptation. En général, je suis sur d’autres projets, donc je refuse. En plus, ce sont des histoires que j’ai déjà tordues dans tous les sens et pour lesquelles j’estime être venue à bout de ce que je peux donner. Je préfère que d’autres personnes s’en occupent, qu’ils et elles soient libres, aient un œil neuf et en fassent quelque chose de nouveau. Par contre, j’ai assisté à tous les tournages : le tout premier, ma fille était tout bébé, elle avait 7 semaines. J’ai assisté au tournage d’une scène, en laissant mon bébé pendant la durée de la scène. C’était extrêmement émouvant. Voir son roman être incarné, c’est vraiment très spécial. Tu te souviens de comment tu l’as construit, tu te dis « Ouaouw c’est mon histoire qui prend vie, ce sont mes personnages ! » Pour « Mother’s instinct » également, je suis allée sur le tournage dans le New Jersey près de New-York. Sur le plateau, je voyais Jessica Chastain et Anne Hathaway, je n’en revenais pas. J’ai vécu une journée un peu désincarnée, c’était incroyable !
© Affiche du film "Mother's Instinct" adapté du roman "Duelles" de Barbara Abel
JM – Voir ses romans adaptés à l’écran, ça doit donner de la force, de la confiance, du carburant pour les projets en cours et à venir ?
BA – Oh oui ! C’est beaucoup de joie. Mais au fond, ta vie ne change pas fondamentalement : je suis plus à l’aise financièrement, mais c’est quand même moi qui fais mes courses et qui me prends la tête avec ma fille ! Je garde le même rythme de vie. Et puis, tout ça m’arrive à plus de 50 ans. Je pense que si ça t’arrive quand tu es vraiment jeune, ça doit un peu te déstabiliser.
Et puis, ça donne du carburant et de la force, mais aussi un peu de panique ! Je devais sortir mon dernier livre plus ou moins en même temps que le film, et je me suis vraiment sentie acculée par ce délai. Je ne trouvais pas ma fin, j’avais l’impression de piétiner, j’étais complètement bloquée et je me suis vraiment pris un grand moment de panique. En plus, je sentais une certaine pression de la part de mes lecteur·ices, pour la première fois. C’était très bienveillant, mais quand les gens me disaient « on attend avec impatience votre prochain livre ! et vos fins sont toujours tellement surprenantes ! » ça me paralysait d’autant plus. Mais ça va, finalement je m’en suis sortie !
JM – Vous êtes également scénariste (vous avez co-écrit la série « Attraction » avec Sophia Périé, réalisée par Indra Siera). En quoi ce métier de scénariste est différent du métier de romancière ? Est-ce que votre rapport à l’écriture a changé grâce aux adaptations ? Est-ce que votre façon d’écrire des romans a évolué suite au travail d’adaptation audiovisuelle effectué sur vos romans précédents ?
BA - Oui, ça a changé beaucoup de choses ! Déjà, c’est très différent d’écrire à deux et pas toute seule. Le travail de scénariste c’est beaucoup de brainstorming, on parle énormément, on se lance dix mille idées, on réagit, on rebondit, on choisit ensemble. Puis quand on écrit c’est très « plat », très « jeté ». Quand on écrit un roman, il y a un style, une attention à l’écriture, au langage. En scénario, on ne fait que raconter ce qu’on verra à l’écran. On doit aussi faire attention à une certaine réalité : on ne peut pas décider tout à coup de faire une scène qui se passe dans le désert avec 500 chameaux. On sait que ça va être impossible à tourner. Il y a une façon de raconter qui est influencée par les futures contraintes du tournage. Dans un roman, je peux raconter cette scène : 500 chameaux dans un désert transformés en mots imprimés sur du papier, ça ne coûte pas plus cher qu’une scène de huis clos.
Les adaptations puis la découverte de l’écriture de scénarios ont bien sûr influencé mon écriture romanesque, dire le contraire serait mentir. Je continue à écrire ce que je veux, sans me préoccuper d’une éventuelle mise à l’image, mais par contre je pense que mon écriture a changé au niveau du traitement des personnages, du rythme. Souvent, quand j’écris, à la fin d’un chapitre, je me dis « Je me demande si Sophia aimerait ! ». Et puis, il y a quand même quelque chose de fondamentalement différent dans l’approche du projet : quand on écrit un roman, la finalité, c’est l’écriture en elle-même. Le roman, une fois qu’il est écrit, il existe. Par contre, le scénario, c’est juste une étape : la finalité, c’est le film ou la série. Psychologiquement, ce n’est pas du tout la même approche face à l’écriture !
JM - Quelle est votre actualité littéraire et audiovisuelle ?
BA - Je suis en train d’écrire mon prochain roman. J’ai aussi écrit le scénario de la saison 2 de « Attraction » avec Sophia Périé, qui est en pré-production : la production est en train de rassembler les fonds et de préparer le tournage. Il y a également l’adaptation en série de mon roman « Je sais pas » qui a été tournée à Angoulême en novembre dernier, avec Lola Dewaere. Ils sont en post-prod et ça va bientôt être diffusé sur France 2.
Mon dernier roman, « Comme si de rien n’était », est sorti en avril dernier et puis le 3 avril 2025, mon éditrice Céline Thoulouze réédite une comédie que j’avais écrite en 2009 « Le bonheur sur ordonnance ». C’est un livre un peu feel good, j’en ai écrit deux comme ça. J’imagine que si ça fonctionne elle publiera l’autre !
© Récamier - Première de couverture du dernier roman de Barbara Abel
Propos recueillis par Juliette Mogenet
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