Bilan enthousiaste pour la bourse « Autrices grandes scènes»
Elles sont quatre à avoir été sélectionnées. Quatre à être rayonnantes et boostées par une aide financière digne de ce nom et par des liens inespérés ! Trois ans après le lancement de la bourse Autrices grandes scènes, quel bilan pour Valériane de Maeterleire, Cécile Hupin, Stéphanie Mangez et Virginie Thirion, les lauréates de cette bourse spéciale autrices ?
Pour point de départ, un constat
C’est une histoire d’intelligence collective. Qui part d’un constat : il y a peu de bourses d'écriture théâtrale. La SACD, rompue aux aides à l’écriture dans l’audiovisuel, veut faire bouger les lignes dans le spectacle vivant. Frédéric Young, son délégué général en Belgique, réunit alors plusieurs directeurs.ices de théâtre pour voir comment mettre en place efficacement ce type d’aide. La question des grandes scènes est amenée par Patricia Ide qui a une très bonne vue, depuis son poste de codirectrice du Théâtre Le Public, sur le peu de femmes aux manettes des spectacles avec une grande distribution et des moyens importants. Au théâtre comme ailleurs, plus il y a d’argent, moins il y a de femmes*. La proposition rassemble toutes les parties en présence et il est donc décidé de lancer un appel à projets réservé à des autrices pour des pièces à grande distribution (minimum cinq acteurs.rices).
À l’automne 2021, 40 candidates déposent un projet. « Tous les textes sont lus, partagés, commentés et discutés en réunion par les directeurs et directrices des théâtres impliqués, relève Anne Vanweddingen, directrice de l’Action culturelle de la SACD. Pour qu’une pièce ait des chances d’être montée, il faut une implication du théâtre. On est dans l’esprit d’un partenariat et il fallait donc créer un binôme avec chaque théâtre. Avec tout de même l’idée qu’il puisse y avoir des coproductions possibles, de faire tourner un spectacle dans plusieurs théâtres. En somme, on cherchait à créer un nouveau petit écosystème », détaille-t-elle.
Sont lauréates : Valériane de Maeterleire en cheville avec le Théâtre Royal du Parc ; Cécile Hupin avec le Théâtre de Liège ; Stéphanie Mangez avec Le Public ; Virginie Thirion avec Océan Nord.
Comme un appel d’air
Chacune avait ses raisons propres de répondre à cet appel, le premier du genre. «Quand j’ai vu l’appel, j’ai conscientisé que j’avais déjà renoncé à faire des pièces à grande distribution. Alors que pendant mes études au Conservatoire de Mons, ça me venait naturellement – d’autant qu’il y avait tous les copains pour endosser les rôles. Dix ans plus tard, j’avais fermé cette porte. J’avais intériorisé que c’était illusoire, que ça n’allait jamais être produit, relate Stéphanie Mangez. J’ai pris cet appel comme un défi : celui de rouvrir cette porte. Je me souviens encore de ma réaction physique, dans mon corps, comme l’émotion qui te met en mouvement. Je me suis dit, peu importe le résultat, fais-le. Pour toi. Ne serait-ce que pour te reconnecter à ces envies-là que tu as enterrées. » Pour Valériane de Maeterleire, c’est la perspective que son texte soit lu par ces différents directeurs.ices de théâtre qui a principalement aiguillonné sa motivation, théâtres dont elle n’aurait pas forcément osé pousser la porte. Virginie Thirion a saisi la balle au bond, elle qui était justement en train d’écrire une pièce à grande distribution tout en désespérant qu’elle soit un jour montée. Et trottait aussi dans un coin de sa tête, l’idée que sa pièce vive un peu plus longtemps puisque plusieurs théâtres étaient dans la boucle. Elle abonde dans l’enthousiasme de Cécile Hupin qui était enchantée à l’idée d’avoir du temps d’écriture rémunéré (5.000 euros chacune). « C’est génial d’avoir des conditions de travail pareilles ! Avec une structure d’encadrement, une rémunération et sans devoir se restreindre », résume la cadette du quatuor.
L’alchimie à quatre
Quatuor n’est pas un vain mot. Si la bourse « Autrices grandes scènes » prévoyait un accompagnement par les théâtres, l’imprévu a surgi sous la forme d’une harmonie et d’une entente cordiale entre les quatre autrices. « Être ensemble et partager nos coups de mou, nos coups de gueule, ça permet de relativiser et de retrouver de l’humour », note Virginie Thirion. « Sortir de la solitude de l’autrice, c’est tellement précieux, enchaîne Cécile Hupin. On s’est organisé des temps de travail ensemble et des résidences d’écriture, l’une au Théâtre du Parc, l’autre à la mer… Je trouve que c’est une grande chance de voir le processus de création des autres. Moi ça m’a énormément appris. » « Dans les moments de difficultés, on a pu se tourner vers les trois autres. Et ce soutien des unes pour les autres, je l’ai ressenti très fort. Moi, ça m’a donné force et légèreté », relève Valériane de Maeterleire. Une complicité joyeuse et une entraide vigoureuse qui ont aussi « énormément portée » Stéphanie Mangez. Loin de la concurrence stérile, le partage fertile.
L’accompagnement des théâtres
Fertile aussi, l’accompagnement des théâtres partenaires. Sur les quatre projets, deux sont encore en élaboration et deux sont aboutis. «… comme un poisson sans bicyclette», de Virginie Thirion a été créé cet hiver 2024 à Océan Nord et sera en tournée au Manège de Mons la saison prochaine. « La reine rouge », de Valériane de Maeterleire est à l’affiche de la saison 2024-2025 du Parc. Pour la première, dont le projet était déjà bien enclenché, cette bourse et ce binôme ont été « un coup de pouce, une validation. La création de ce spectacle s’est extrêmement bien déroulée. D’autant qu’Océan Nord offre de très bonnes conditions de travail. » Cerise sur le gâteau, cette création a été très bien accueillie, notamment avec des critiques presse enthousiastes.
Pour « La reine rouge », Valériane de Maeterleire souligne « un véritable travail ensemble » avec Thierry Debroux, le directeur du Théâtre du Parc. « Thierry a relu plusieurs fois mon texte en cours d’écriture et donc j’ai pu bénéficier de ses retours. Très vite, il a dit qu’il voulait le monter et a proposé qu’on fasse la mise en scène ensemble. Puis, à la fin d’une journée d’audition des comédiennes et comédiens, à laquelle il assistait, il m’a dit ‘Mais tu sais, tu vas faire la mise en scène seule, tu n’as pas besoin de moi’. Cette confiance donnée, c’est crucial. »
Stéphanie Mangez parle, elle, d’un « marrainage ». « Je sens que Patricia [Ide, codirectrice du Public, ndlr] me fait confiance. Elle me laisse le temps de développer mon projet alors qu’il prend un tour très différent de celui annoncé au départ. À un moment, je me suis retrouvée prise au piège des contraintes de la commande. Patricia m’a dit ‘si tu es bloquée, libère-toi de ces contraintes qu’on s’est donné au début’. Je le vis comme un marrainage bienveillant de quelqu’un qui sait ce qu’est le cheminement d’écriture », explique-t-elle.
Cécile Hupin bénéficie, elle aussi, de la possibilité d’un temps long d’écriture, de maturation du projet. « L’accompagnement du Théâtre de Liège est vraiment super, incroyable ! Ils ont un dramaturge, ce n’est pas rien. Et une équipe fantastique. L’une des versions de mon texte a été mise en lecture avec tous les gens du théâtre, ça veut dire avec la personne de l’accueil, celles des services administratifs, etc. Ce n’est pas fréquent comme approche. J’ai abandonné ce texte depuis. Et j’en suis au 3ème texte complètement différent. Je suis partie dans un grand projet, avec un travail d'enquête et d’interviews. Je veux aller au bout du bout de cette démarche. C’est rendu possible. Et ça, c’est génial », se réjouit-elle.
Le bilan
« Je n’aurais jamais proposé moi-même de faire ça, dit Valériane de Maeterleire. Il a fallu que j’y sois habilement invitée, tant pour le texte que pour la mise en scène. Et sans cette bourse, sans cet accompagnement, moi je n’allais pas au bout de mon texte… Car j’ai vraiment cru que j’allais me noyer sous les faits historiques », concède sans détours l'autrice de « La reine rouge », une comédie autour de notre reine Élisabeth qui, en pleine guerre froide, accepte une invitation à se rendre à Moscou. « Cette bourse est tellement nécessaire, estime Virginie Thirion. Car il faut créer des précédents pour cesser d’intérioriser les inégalités femmes-hommes. Il faut créer des références, des ‘modèles’ pour les jeunes femmes, afin qu’elles voient que c’est possible, qu’elles sont légitimes. »
Elles saluent toutes, comme une force de cette bourse, les moments de lecture des textes où toutes et tous les partenaires sont réunis et où chacun endosse un personnage, directeurs et directrices des théâtres y compris. Un procédé horizontal qui casse les hiérarchies et renforce l’implication et les liens de toutes et tous. Chacune connaît maintenant des personnes clefs dans différents théâtres, et c’est évidemment un plus pour aller présenter de prochains textes.
Comme tout projet pilote, il peut être amélioré. Surtout, soulignent les autrices, en lui donnant nettement plus de visibilité, en le faisant connaître. Et en accentuant la possibilité qu’un même spectacle puisse tourner dans différents théâtres. Une réunion de bilan a d’ailleurs eu lieu, en juin, entre la SACD et les autrices pour faire le point. Une deuxième édition serait favorable pour installer, justement, la notoriété de cette bourse. « Ce sera discuté à la rentrée au Comité belge de la SACD. Si on relance une telle bourse, idéalement ce serait avec d’autres théâtres, précise Anne Vanweddingen, directrice de l’Action culturelle de la SACD. Mais au Comité, siègent des autrices et des auteurs, et ce sont elles et eux qui nous font remonter les besoins des auteurs et des autrices. »
Propos recueillis par Cécile Berthaud
* Voir, par exemple, l’étude «Présence des femmes dans le champ des arts de la scène», p.18, édition 2023, de La Chaufferie-Acte 1
Les autrices
Valériane de Maeterleire est dramaturge, metteuse en scène et mène des projets de théâtre et d’écriture au sein d'ateliers.
- Son spectacle "La reine rouge" se jouera au Théâtre du Parc du 23 janvier au 22 février 2025. Pour en s'avoir plus, c'est ici
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Cécile Hupin est autrice de nouvelles, de pièces de théâtre et d’un premier roman paru en mars 2024.
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- Lire l'article paru sur Le Soir, sur son premier roman "Ne pas nourrir les animaux" : ici
Stéphanie Mangez est autrice d’une dizaine de pièces de théâtre, comédienne, cofondatrice de plusieurs compagnies et animatrice d’ateliers d'écriture.
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- Stéphanie Mangez, lauréate du Prix SACD Jumelles d'or 2022 pour la Cie MAPS
Virginie Thirion est dramaturge, metteuse en scène et professeure à l’Insas.
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