Skip to main content

"De la difficulté réelle ou supposée de faire passer une comédie face aux instances d’avis" par Véronique Jadin

lundi 1 avril 2019

Les Dardenne n’étant pas libres, c’est à moi qu’on a demandé d’écrire un article sur la comédie. Dont acte. J’ai d’abord décidé de vous éviter « peut-on rire de tout ? ». De rien, c’est cadeau.

 

Commençons : il y a un complexe fréquent chez les aut.eur.rice.s de comédie: penser que le drame est supérieur. Gérard Oury raconte dans ses mémoires qu’après qu’il ait réalisé deux drames assez moyens, Louis de Funès le pousse à admettre qu’il est en fait un auteur comique. Le film suivant s’appelle "Le Corniaud".


J’ai adoré pleurer sur "Les rives de l’Hudson", mais que ce que je relis d’Edith Wharton, ce sont "Les New-Yorkaises" - son humour féroce est tellement contemporain qu’on pourrait l’appeler les Uccloises et que ça marcherait aussi… Garder ses DVD de "La Meglio Gioventu" mais ne pas les regarder, et supplier ma fille, en mode alibi, de regarder "La chèvre", encore une fois. Eh oui, le rapport à la légitimité est rarement simple pour les comiques au sens large. Ces ambivalences se reflètent dans les chef des aut.eur.trice.s mais aussi chez les les décideu.r.se.s, qui doivent assumer et défendre leurs choix et en plus justifier de l’utilisation de fonds publics.

Je m’en vais en toute logique voir du côté de la CSF, Commission de Sélection du Film. Sa présidente, Joëlle Levie1, nuance: "Il y a un préjugé terrible dans la perception des auteurs envers la commission concernant les comédies mais aussi tous les films "de genre". Les membres de la commission sont très conscients qu'il est important de soutenir une diversité de genres. Il se fait que très peu de comédies sont en fait déposées. Et la comédie est un des genre le plus compliqué à écrire. Le cinéma belge est sans cesse confronté au cinéma français. Comment se distinguer ? Comment arriver à parler de nous, de la vie, des gens avec générosité, humanité et le regard déjanté qui caractérisent les comédies qui marchent, le tout avec notre sens de la dérision ? Certains projets déposés à la commission se veulent absolument comiques, avec des acteurs français sur des sujets souvent peu intéressants. La vraie question qui se pose est: n'avons nous pas peur - tout simplement - de rire de nous, de nos défauts, de nos qualités, de ce côté loufoque propre à notre culture ?
Pour les projets soutenus en longs métrages en 2018, il y aura 3 comédies sur 13 films. Mais avec l'appel à projets des productions légères, nous avons pu constater que la comédie cherchait sa place: 3 des 4 projets acceptés sont des comédies !"

Ensuite direction le Fonds des Séries (FWB/RTBF), où je rencontre Sylvie Coquart, responsable éditoriale de la fiction me donne son point de vue: "Le Fonds des séries a connu les succès que l’on connaît mais pas encore sous le drapeau de la comédie. Un des problèmes est que les chaînes sont plutôt demandeuses de 52’ à programmer, or il n’y a pas d’exemple mondial de 52’ de comédie pure. Deux comédies, issues d’un appel à projet lancé spécifiquement pour les 26,’ sont en développement2. On ne connait pas encore la case de programmation de ces séries. Dès lors, sur l’humour pur, il n’y aura pas de nouvel appel à projet dans l’immédiat. L’humour est par contre présent dans toutes nos séries, même dans les polars. Pour le moment, Le Fonds cherche aussi de la série sociétale, dont le ton et le traitement peuvent être humoristiques ou décalés. Dans les séries web, qui font aussi partie des appels à projets, il y a de la place pour la comédie, de « Euh » à dernièrement « Boldiouk et Bradock ». Ce sont aussi des pistes porteuses d’espoir pour les auteurs qui veulent écrire de la comédie."

Je me tourne finalement vers Yves Lavandier. L’auteur de La Dramaturgie3 ne voit pas de différence fondamentale dans l’analyse de la comédie ou du drame, "si ce n’est que la comédie fait une promesse, celle du rire, au lecteur, et dès lors, si elle n’est pas tenue, la sanction est immédiate. En fait, dans le scénario de comédie, l’erreur se voit mieux! Il y a des drames qui sont perçus comme « fragiles » ou « difficiles » alors qu’ils sont juste mal écrits. Mais une comédie mal écrite reste juste mal écrite. Dès lors, pour la comédie, les conditions de lecture des décideurs sont draconiennes. Il faut être drôle parfois dès la 1ère page. Alors, oui, il y a des types d’humour comme il y a des types de drame, mais il y a aussi des critères d’évaluation objectifs qui permettent de repérer un scénario bien écrit. Car , quoiqu’on entende parfois, il y a des règles d’écriture universelles et intemporelles, qui font qu’un Chaplin ou un Pierre Richard sont drôles partout et à toutes les époques."

La comédie présentée en financement doit être écrite comme Alain Delon a été beau, indéniablement, sans que quiconque vienne chipoter sur un détail. Il faut rendre son scénario inattaquable. Et encore mieux : irréfutable.

 

1. Voir aussi les interventions de Joëlle Levie lors de la rencontre sur la comédie organisée par la SACD au FIFF 2018
2. Prince Albert de Xavier Seron. Méryl Fortunat-Rossi et Jean-Benoît Ugeux et Baraki de Peter Ninane, Julien Vargas et Fred De Loof. En 8 x 52', Warning de Vincent Lannoo, Jérôme Colin, Vincent Tavier et Chloé Devicq sera un docufiction teinté d'humour noir et second degré.
3. Yves Lavandier a une actualité belge puisque ce sont Benoît Peters et sa maison d'édition Les Impressions Nouvelles qui assurent la réédition de son livre de référence, La Dramaturgie, dès ce mois de mars. Pour celles et ceux qui souhaitent affiner leur lecture de scénario, je renvoie à cet ouvrage d'Yves Lavandier : Evaluer un scénario

 

Pour aller plus loin 

. retrouvez le Magazine des Auteurs et des Autrices #5 : "L'humour est un métier" et tous les autres magazines dans les Publications
. retrouvez l'édito de Jean-Luc Goossens "L'humour doit être déclaré d'utilité publique

 

"De la difficulté réelle ou supposée de faire passer une comédie face aux instances d’avis" par Véronique Jadin
Portrait : © Laurence Deydier