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Focus sur Hinde Boujemaa, Prix SACD Cinéma 2020

mardi 13 avril 2021

"S’il y a une ennemie de la fatalité, c’est bien Hinde Boujemaa. Cette réalisatrice belgo-tunisienne s’est déjà tracé un parcours tressé de lauriers et compte bien ne pas en rester là" : quelques mots pour commencer à décrire le travail d'Hinde Boujemaa, à qui le Comité belge de la SACD a remis son Prix du Parcours en Cinéma en 2020. Découvrez ici une bio de l'autrice, son éloge par Monique Mbeka Phoba, et un entretien avec Cécile Berthaud.

 

L'autrice

Hinde Boujemaa est réalisatrice et scénariste belgo-tunisienne.

Autrice en 2012 de son premier long métrage documentaire C’était mieux demain (sélection officielle de La Mostra de Venise), elle passe à la fiction en 2014 avec ... et Roméo a épousé Juliette plusieurs fois primé (Muhr d’or du court métrage à Dubaï).

En 2019, elle réalise son long métrage de fiction Noura rêve (sélection officielle au Toronto film festival, en compétition au Festival de San Sébastian, multi primé, Tanit d’or au journées cinématographique de Carthage, meilleur film au Festival de Bordeaux, au Torino film festival).

Elle prépare son second long métrage de fiction, Le Mur.

En savoir plus en visitant sa fiche Bela


L'éloge du Comité

Le premier film d’Hinde Boujemaa que j’ai vu a été  son court-métrage ... Et Roméo épousa Juliette, en 2015. Cette cohabitation d’un couple âgé, dont 50 ans de mariage ont effacé toute trace de sentiment, prenait tout simplement à la gorge. Je m’étais demandé comment il se faisait que cette réalisatrice que j’imaginais très jeune, ait ainsi réussi à capturer l’amour déchu de deux octogénaires...

Mais Hinde Boujemaa était loin d’être une débutante après plusieurs années comme cheffe maquilleuse. Cependant, à 40 ans, alors que mugit en 2011 le formidable remue-ménage de la révolution du Jasmin tunisienne, elle se voit désormais en réalisatrice.

Dès lors, elle fait sienne une thématique déclinée à travers 3 films : les rêves des femmes. Il est significatif que son premier long-métrage s’appelle Noura rêve. Quelle place donner aux rêves des femmes dans une société tunisienne qui les corsète et les asphyxie...

Toutes les héroïnes d’Hinde ont espéré un bonheur simple et légitime, mais qui leur est refusé, quoi qu’elles aient tenté. S’il y a une ennemie de la fatalité, c’est bien Hinde Boujemaa. Cette réalisatrice belgo-tunisienne s’est déjà tracé un parcours tressé de lauriers et compte bien ne pas en rester là. Inch’Allah !

Monique Mbeka Phoba

Hinde Boujemaa, Hors sérail

Révélée par son film Noura rêve, Hinde Boujemaa a tracé sa route à la force du poignet avec le rêve comme étoile du Berger.

Elle a surgi de l’anonymat grand public avec Noura rêve. Long-métrage sorti fin 2019 dans lequel Noura, en instance de divorce, se fait rattraper par la jalousie de son mari qui s’appuie sur la pénalisation de l’adultère en Tunisie pour se venger. La loi tunisienne prévoit en effet cinq ans d’emprisonnement pour les amants. Ce premier long-métrage de fiction de Hinde Boujemaa avait été très bien accueilli par la critique et a parcouru les festivals à travers le monde, sélectionné à Toronto et Saint-Sébastien et recevant un Tanit d’Or au Journées Cinématographiques de Carthage.

Noura rêve vient des faits divers. Un matin, une amie m’appelle et me dit qu’elle a besoin d’un avocat. Elle était séparée depuis deux ans, mais toujours mariée et son mari, apprenant qu’elle avait quelqu’un, a envoyé la police. Elle est allée en prison. C’est comme ça que j’ai découvert cette loi, raconte Hinde Boujemaa. Et c’est comme ça que le public a découvert Hinde Boujemaa, sortie d’on ne savait où.

Elle, elle savait très bien où elle était et où elle voulait aller.

Rembobinons.

De maquilleuse à scénariste

Hinde Boujemaa naît à Carthage dans les années 70, d’une mère belge et d’un père tunisien. Elle y passe une partie de son enfance avant que la famille déménage à Tunis où elle est allée au lycée français (bac littéraire), puis elle fera ses études à Bruxelles. Maman travaillait à l’ambassade de Belgique, mon père faisait de l’archéologie sous-marine. Et on passait toutes nos vacances à Tournai chez mes grands-parents. Quand les gens venaient bronzer en Tunisie, nous on faisait le trajet inverse, rit-elle. Elle commence à lire très jeune. Sa sœur et elle ont été abonnées à tout ce qui était possible comme magazines pour enfants dès 4 ans. À 11 ans, elle découvre les policiers et les dévore, happée par leur trame dramaturgique. Et puis, en Tunisie il n’y avait pas grand-chose à faire les week-ends, alors on regardait beaucoup la télévision, surtout italienne. Et j’ai vu comme ça quantité de grands classiques, ajoute-t-elle.

Elle suivra une copine et fera des études de marketing qu’elle abandonnera au bout de trois ans. Elle y apprend des choses, mais cela la laisse malheureuse, sans pour autant savoir quoi faire d’autre. Et un jour je reçois le dépliant d’une banque qui fait un focus spécial étudiant sur les corps de métier, dont ceux du cinéma. J’ai cherché le cycle le plus court car j’avais envie d’aller travailler rapidement et j’ai suivi la formation de maquillage en effets spéciaux. J’ai fait des stages en Belgique au théâtre, à l’opéra, pour des courts-métrages. Ça me plaisait cet univers. Après, j’ai eu la chance d’aller sur de grandes productions, d’autant que plein de grands films venaient se tourner en Tunisie à cette époque-là, comme Le Patient anglais par exemple. J’ai eu rapidement des responsabilités et je suis passée cheffe maquilleuse, explique-t-elle.

Hinde Boujemaa sent pourtant très tôt que ce n’est pas là qu’elle restera.

Au bout de quelques années elle tourne en rond, sa curiosité et son besoin de changement ne sont pas nourris. Germe l’idée d’être scénariste. Elle combine pendant un temps son travail de maquilleuse et les études de scénariste par correspondance via Educatel (Paris), puis saute le pas, arrête le maquillage pour consacrer tout son temps à apprendre. Elle a alors deux enfants encore petits. On imagine que la période a été dure. Oui, c’est chaud. On perd le mari en route ! J’ai traversé la séparation, une longue maladie, mais je m’accrochais. Je crois que j’avais décidé que je n’existerais pas autrement qu’en faisant des films. C’était un rêve et il fallait y arriver, il n’y avait pas d’autre choix. Mon entourage me poussait à prendre « un vrai travail », ça devenait un reproche constant. Un reproche bienveillant dans le sens où ils trouvaient que je trimais trop. J’expliquais à mes enfants que oui, j’aurais pu trouver un boulot mais que ce n’était pas ce que je voulais. Que je n’étais pas une maman toujours très présente, mais qu’on s’aimait et qu’on avançait. Je les ai embarqués, ils ont traversé avec moi les périodes très difficiles, celles sans argent. C’était dur, mais maintenant ça va mieux et ça ira encore mieux après. Au 3ème film mon entourage s’est rassuré !, raconte-t-elle.

Le coup de pouce de la révolution

Elle corrige un scénario pour un producteur, celui-ci lui ouvre la porte des workshops. Elle enchaîne les sessions. Avec Emmanuel Bourdieu, Jacques Fieschi, Eve Deboise, Jean-Claude Carrière, notamment. Elle regarde quantité de films qu’elle décortique, seule, chez elle.

Puis elle s’attèle à la préparation d’un court-métrage, avant de se lancer dans un long. Classique.

Elle obtient les fonds en Belgique pour ... Et Roméo épousa Juliette et part le tourner en Tunisie. Le début du tournage était prévu le 24 janvier 2011. Mais le 14, la révolution tunisienne s’enclenche. Impossible de tourner. Là, on était en plein dans l’événement historique. Je me suis dit « il faut juste filmer, filmer, filmer ». J’ai demandé une caméra et un cadreur à mon producteur et j’ai filmé pendant six mois. J’ai rencontré trois personnes, dont la future héroïne de mon documentaire. Je l’ai suivie pendant un an et quelques.

Elle en tire son premier long-métrage, un documentaire : C’était mieux demain, sorti en 2012. Il est pris en sélection officielle à la Mostra de Venise. Le début d’un tourbillon. Ce film m’a emmenée partout dans le monde. J’ai passé deux ans à le suivre, sans travailler sur autre chose. Pour moi, ce n’était pas une perte de temps. J’ai fait beaucoup de rencontres et je commençais à comprendre l’industrie. C’était deux ans d’apprentissage.

Elle a alors sorti son court ... Et Roméo épousa Juliette en 2015. Puis est venu Noura rêve en 2019, son premier long-métrage de fiction, donc. Fruit de sa ténacité, de sa capacité à apprendre sur le tas, à absorber tout ce qu’elle pouvait observer sur un plateau du temps où elle était maquilleuse, de son art de convaincre et de savoir se vendre (les études de marketing n’auront finalement pas été inutiles). J’ai pris la caméra à 38 ans. C’est tard. Mais je crois qu’on peut faire n’importe quelle carrière à n’importe quel âge. J’ai commencé tard ma carrière de réalisatrice, mais je la vois encore loin.

Propos recueillis par Cécile Berthaud


Pour aller plus loin

. Pour tout savoir sur le palmarès, vous pouvez lire en ligne ou télécharger la publication dédiée.

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Focus sur Hinde Boujemaa, Prix SACD Cinéma 2020
Hinde Boujemaa, avec Isabelle Wéry, lors de la remise des Prix SACD 2020