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Focus sur Isabelle Bats, Prix SACD Spectacle vivant 2020

jeudi 1 avril 2021

"Un rapport protéiforme et mouvant à la scène, à l’écriture et au public fait d’Isabelle Bats l’incarnation de la singularité." "Une ovni" : quelques mots pour commencer à décrire le travail d'Isabelle Bats, à qui le Comité belge de la SACD a remis son Prix du Parcours en Spectacle vivant en 2020. Découvrez ici une bio de l'autrice, son éloge par Sybille Cornet, et un entretien avec Cécile Berthaud.

 

L'autrice

Isabelle Bats, née à Charleroi en 1969.

Quelques études, des exercices d’écriture menés sur scène : La Méduse à la Balsamine, Anne et Isabelle - a soap à la Balsamine, Théâtre Océan Nord, Halles de Schaerbeek, Trampoline à L’l, Les Petits Ruisseaux font les grandes rivières, un peu partout, Girl/Fille au Théâtre de l’Ancre et à Mars… des rencontres, des moments sur scène pour les autres… des performances : Perfect Match, Le Plus Petit Feu d’artifice jamais recensé, Lips like sugar, La Minute burlesque, Avoir tennis… des moments performés pour et avec les autres : Boris Dambly, Dominique Thirion…

Curatrice avec Mathias Varenne pour les Crash test… quelques ateliers… quelques passions et obsessions… étincelle du collectif F.(s)… bientôt sur le plateau avec Mathias Varenne dans Le Lit, bientôt…

En savoir plus en visitant sa fiche Bela ! bela.be/auteur/isabelle-bats


L'éloge du Comité

Hors du temps, loin des modes, Isabelle Bats est une ovni (ça se met au féminin ovni ?). Son expression favorite, « ben j’men fous », elle la clame haut et fort, un sourire radieux lui traversant le visage.

On l’a découverte jouant et/ou performant dans ses propres spectacles ; entre autres Anne et Isabelle – a soap, sans doute le premier feuilleton théâtral belge francophone itinérant. On l’a lue, exprimant sa colère en carte blanche dans les journaux nationaux, sa colère face à l’absence criante de femmes à la tête d’institutions théâtrales belges. On l’a vue seins nus performant derrière une vitrine de Recyclart. En train de déplacer des dizaines de sacs de sable pour la Ghost Army à l’ombre d’un tank gonflable. On l’a entendue chanter dans son groupe musical Avril, un duo, voix/batterie, groupe aussi émouvant qu’improbable.

Profondément féministe – un féminisme au goût acide ou acidulé à la Virginie Despentes – elle se bat sans relâche contre les idées reçues. Pas que les idées de genre, toutes les idées reçues.
De Julie Lescaut à Kim Gordon (Sonic Youth).
De la déglinguée Joanna Lumley à Kim Cleysters.
De Tilda Swinton à Virginia Woolf, elle puise son inspiration dans des formes aussi populaires qu’underground.

Sybille Cornet


Isabelle Bats, Œuvres de friction

Un rapport protéiforme et mouvant à la scène, à l’écriture et au public fait d’Isabelle Bats l’incarnation de la singularité.

Il y a des missions qu’il faudrait savoir refuser. Comme enfermer Isabelle Bats en deux pages. Pour pas mal d’individus, on peut tracer un parcours d’un point A à un point E, en passant par des jalons. Avec la comédienne, autrice, performeuse, on est plutôt dans les zigzags, et considérer qu’il y a un point A et un point E est déjà d’un académisme fichtrement réducteur.

Isabelle Bats, c’est le mouvement permanent, l’art de l’entrecroisement et le tout, le plus loin possible des cases. Le mouvement prend son élan à Charleroi Nord (quartier sinistré), passe par le tennis (incongru), l’Insas (sourire en coin), la performance scénique (on y trouve du tennis), le rock (logique), le théâtre (catégorie : inclassable), l’impulsion du collectif féministe F.(s) (coup de théâtre).

On aurait pu croire, avec nos a priori en bandoulière, qu’une artiste hors cadre allait jouer en mode snobisme ou désinvolture la remise d’un prix. Erreur. Elle dit sans ambages que ça lui fait quelque chose de recevoir ce prix Parcours de la SACD. Car je n’aurais jamais imaginé qu’on allait penser à moi. Je ne pense pas être quelqu’un d’éminemment repérable dans le monde des auteurs et des autrices. Donc ça me touche que le Comité de la SACD considère que ce mouvement que j’ai commencé, que je suis en train de continuer et que, sans doute, je ne terminerai jamais, fait partie d’un rapport à l’écriture. Et moi, le rapport à l’écriture je l’associe à une forme de partage, d’échange, une façon d’être en présence. En présence de gens, d’idées, de désirs. Et de peurs aussi.


Formatage

Elle aime viscéralement ce qui est petit. Les petites formes scéniques, celles qui ne visent pas à devenir longues. Ce qui se termine en même temps qu’il commence. Les petites choses de la vie. Les dites petites gens, les sans pouvoir, les sans blason. Un goût qui lui vient, pense-telle, de son enfance à Charleroi, pierre angulaire de mon existence. Quartier dit Quart-Monde, par moment extrêmement violent. Ma rue a fait deux fois la Une du Nouveau Détective...

Elle vient d’un milieu anciennement ouvrier, un milieu entre deux milieux où le désir était de « monter » un peu socialement. Dans sa famille la curiosité est entretenue : on allait voir des spectacles, des expos, on lisait. Et quand la question d’un hobby s’est posée, ses parents l’ont inscrite avec son frère au club de tennis. Un autre monde. Vivre et côtoyer des mondes opposés, pouvoir brasser tout ça est sans doute la meilleure chose qui me soit arrivée, considère-t-elle aujourd’hui.

Déformatage

Il lui faudra une dizaine d’années après sa sortie de l’Insas pour s’éloigner du théâtre, disons, standard et s’épanouir dans des formes moins structurées, moins académiques. Elle ne regrette pourtant pas son passage par l’Insas. Bon, je fais partie de ces gens qui prétendent qu’ils n’y ont rien appris… Mais j’exagère. J’y suis entrée à 18 ans, je ne savais rien du tout. Ça m’a servi à me rendre compte de l’étendue de mes dégâts : j’ai été confrontée à des débats, des pratiques, à ce que c’était que le théâtre, là où il n’y avait que poésie dans ma tête. Et j’y ai rencontré des personnes avec lesquelles je travaille encore et d’autres devenues aussi des amies.

Elle a cherché satisfaction dans le théâtre académique, sans jamais la trouver pleinement. Elle voulait écrire et mettre en scène, mais elle s’est vite rendu compte que la mise en scène n’était pas pour elle, trop mal à l’aise avec ce pseudo pouvoir. Mine de rien, cela lui prendra une dizaine d’années pour se dissocier de l’académisme. J’avais une vision petite bourgeoise de ce qu’était le théâtre : une scène, un décor, un texte, un rapport frontal, etc. J’ai fini par me rendre compte que le théâtre peut être de multiples façons, qu’écrire peut se faire par des biais très différents : par le corps, sur scène, dans l’instantanéité, expliquet-elle. Cet éloignement, ce lent travail de déformatage et de forage dans ses désirs et approches à elle, elle va surtout le faire au travers de la performance. Ne plus avoir de scène, utiliser un rapport au public différent, une immédiateté différente, faire des choses non préparées, non répétées, non écrites. Ça m’a vraiment permis de me réapproprier.

Ses projets récents et à venir (Girl/Fille, Les Filles du Hainaut, Le Lit) sont des formes théâtrales plus standardisées. Pour autant, elle ne veut pas parler d’un retour au théâtre. Je ne reviens à rien, j’y ai toujours été. Peut-être qu’en ce moment je suis dans une temporalité de travail qui correspond à celle du théâtre avec ses temps d’écriture, de répétition, puis de représentation, analyse-t-elle, un peu contrainte, parce que, elle, elle aime autant ne pas y réfléchir.

Reformulation

Dans Girl/Fille, Isabelle Bats explore le genre et son cheminement de fille et de femme. Dans Les Filles du Hainaut, qu’elle a co-créé avec Yannick Duret, Agathe Cornez et Éline Schumacher, c’est par le fait divers qu’elle vient gratter l’âme humaine. Avec Mathias Varenne elle travaille sur Le Lit, programmé en décembre 2021 à La Balsamine. C’est un compte-rendu du monde fait par une vieille lesbienne et un homo d’âge moyen qui sont les deux derniers survivants d’une catastrophe. Pour une fois, ce sera notre histoire qui sera laissée à la postérité, indique-t-elle.

Son homosexualité, Charleroi deviennent depuis un petit temps le cœur d’un endroit de travail. Elle s’est aussi autorisée, très récemment, à donner des cours et des ateliers. Je n’étais pas prête avant. J’aurais considéré qu’il fallait que j’apprenne quelque chose aux gens. C’est aussi quand elle s’est sentie prête (à en supporter les effets) qu’elle a initié le collectif féministe F.(s). C’est venu d’une usure, d’une somme d’expériences vécues dans le travail, dans le secteur culturel, dans la vie. De mes leçons de tennis à la façon dont on me parle encore maintenant, éclaire-t-elle.

Charleroi Nord et le tennis. Les faits divers et la performance. La forme brève et F.(s). Peut-être que le fil rouge est là, dans ce goût (ce besoin ?) de la juxtaposition, de la friction, de l’entremêlement de ce qui se côtoie peu usuellement. Isabelle Bats vient déloger, bousculer. Avant tout parce qu’elle est à l’étroit dans un seul lieu, dans une seule approche, dans une seule discipline, dans une seule forme. Et dans deux pages.

Propos recueillis par Cécile Berthaud


Pour aller plus loin

. Pour tout savoir sur le palmarès, vous pouvez lire en ligne ou télécharger la publication dédiée.

. Voyez la remise des Prix en vidéo ici...

. ... Et découvrez des photos de la cérémonie et ses coulisses là !

Focus sur Isabelle Bats, Prix SACD Spectacle vivant 2020

Portrait : Laure Dufouleur.