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Libre de droit par Isabelle Bats

lundi 4 mars 2019

Il y a ce rêve dans lequel je suis Lazlo Carreidas.
Je n’ai l’air de rien. Tant et si bien qu’on me donne un billet de banque, histoire que je mange à ma faim, que je boive une boisson chaude.
C’est un rêve.


Ce serait un sommet de réalisation d’ambition. Être ce qu’on n’a pas l’air d’être et inversement.
J’écris. Par tous les moyens : sur papier, sur la voix, sur des actions, sur des gestes.
Dans des confitures. Nous écrivons. Nous déposons.
J’ai écrit pour le théâtre ou pour la scène, c’est selon.
Puis, j’ai passé de longs moments à refuser de revenir vers le théâtre. Il fallait un feu d’artifice, un match de tennis, un kilo de sel, des guitares électriques. Et ces mots, seuls, étaient toute
l’écriture possible.

 

Indéposables. Chaque année revient, pourtant, ce moment de remplissage des documents de reprographie : une leçon de modestie. Néanmoins, cette machine tourne tant et si bien qu’avec l’argent touché je peux photocopier mon dossier de demande d’aide à la commission interdisciplinaire. Un texte de théâtre vient de s’écrire, déposable, qui sera rendu public bientôt.
Des billets seront vendus, des strapontins seront réservés. 

Sur la page du budget prévisionnel, je cherche la petite ligne consacrée aux droits d’auteur. Je ne la trouve pas. Mais on m’assure que le théâtre prend tout en charge. Je le sais. 

Je me doute d’ores et déjà que le coût des « consommables » du spectacle chaque soir excédera celui des droits d’auteur de la soirée. Il est vrai que le spectacle consomme les bouteilles de gin comme d’autres multiplient les pains.

Je me trouve en arrière garde, nous sommes un peloton organique et presque infini d’arrières garde. Nous portons des jerseys aux couleurs de nos spécialités : en danseuse, en montée, en chute libre, en contre la montre. La mêlée se joue en équipe.
De bonne grâce. Ca fait très fort penser au roller derby.


Nous partageons un métier, des métiers. La semaine prochaine, je déposerai le texte de girl/fille, il est tout petit, quelques pages, il ne pèse pas très lourd, il pèse environ trois ans de mon existence.

 

J’en toucherai les droits comme je m’approchais du rayon de bonbons chez le marchand de journaux : dans une joie muette.

 

J’en toucherai les droits comme je m’approchais du rayon de bonbons chez le marchand de journaux : dans une joie muette. Je m’en servirai comme d’une pommade, comme d’un moment superfétatoire, d’une absolue douceur. Je pourrai m’octroyer un superflu.


Il y a ce rêve dans lequel je suis autrice de théâtre. Mais je produis aussi mon propre miel et je porte une visière en plastique bleue sur les yeux et je suis le
lièvre du peloton et c’est d’une absolue nécessité.


Chaque jour est un jeu de plateau, chaque jour est un air à fredonner, chaque jour est la caresse d’une enveloppe qui sera remplie de pages, qui fera son
cheminement entre des tiroirs, des bureaux, un tampon encreur, et je payerai des impôts faramineux.

 

PS : Dans les semaines à venir, j’ai la ferme intention de demander, humblement, à Eric-Emmanuel Schmitt de me coucher sur son testament.

 

L'autrice

Isabelle Bats née à Charleroi (ça a son sens), étudiante à l’INSAS, puis des essais d’écriture, de mise en scène, un détour sur le plateau, devenir sans le savoir vraiment « performeuse » avec des projets comme les petits ruisseaux font les grandes rivières, le plus petit feu d’artifice jamais recensé, perfect match ou encore la minute burlesque… des performances à brûle pourpoint entre le silence, le trop de mots, les actions, les matières. Interrogeant sans cesse, oui, ce fait d’être fille, ou girl, ou call girl pour la WTA (un rêve). En répétitions pour le spectacle girl/fille créé en février 2019 au Théâtre de l’Ancre.

 

Pour aller plus loin

. retrouvez la biographie d'Isabelle Bats sur le site de Bela : http://www.bela.be/auteur/isabelle-bats

 

Libre de droit par Isabelle Bats
Portrait : D.R.