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Rapport sur la relance de la culture : nos premières réactions

mercredi 15 juillet 2020

Le rapport conçu par le groupe de travail chargé par la Ministre Linard d'imaginer le futur - à très court terme - de la culture est sorti. Avant de vous proposer une analyse détaillée de ce document d'une trentaine de pages, voici déjà nos première réactions quant aux pistes de soutien à la création qui y sont proposées.

 

 

Premières réactions

Le rapport fait entre autres émerger un ensemble de priorités relatives aux soutiens à la création.
Nous partageons pour l’essentiel, et depuis longtemps, ces priorités qui rencontrent ensemble la plupart des revendications des auteurs et autrices : la nécessité de mettre en œuvre un véritable statut de l’artiste et de l’intermittent ("un statut de l’artiste digne de ce nom, pour valoriser à sa juste valeur le travail des créateurs et créatrices [et] rémunérer tout un travail invisibilisé, un travail dense, constant et effectué au quotidien" - point 1), l'indispensable refinancement de la création ("La FWB devrait se montrer davantage ambitieuse dans sa politique artistique, réduite depuis longtemps à une portion congrue" - point 2), et enfin l'affirmation que tout travail d’un.e artiste mérite rémunération ("tout travail mérite rémunération. Le bénévolat doit être évité. Ceci implique que l’artiste doit être correctement et adéquatement rémunéré, pour toute heure de travail prestée. Ainsi, doit être correctement et adéquatement rémunérée chaque heure de travail de recherche, de production, d’expérimentation, de répétition, de médiation, de communication, d’enseignement, de promotion prestée par un artiste. Les institutions et les opérateurs doivent également scrupuleusement respecter les droits d’auteur." - point 5).

L’augmentation du volume de l’emploi artistique, pour laquelle nous nous battons, n’est pas explicite mais devrait mécaniquement découler des ces priorités.

Pour ce qui relève de la mise en œuvre, les discussions doivent être lancées car le rapport n’a pas pu aller dans trop de détails et reste assez superficiel. Des accords sont à nouer, ce que nous faisons déjà par des discussions inter-fédérations.

Sur le nouveau statut des artistes, l’approche reste trop centrée sur les responsabilités du fédéral et de la sécurité sociale (solidarité interprofessionnelle cogérée par les employeurs, les syndicats et l’Etat) et n’interroge pas assez celles de la FWB, des régions et des pouvoirs publics en matière d’emplois artistiques et de modalités de rémunérations.

Enfin, les priorités au sujet de la médiation et du numérique vont selon nous dans le bon sens, et intègrent une dimension artistique dans des termes renouvelés et intéressants.

 

L'analyse de Frédéric Young

Le rapport des "40/52" fait des constats justes, indique des objectifs pertinents, et montre lui-même où le travail de réflexion nécessite des développements, doit être complété sur les mesures opérationnelles

La démonstration en est faite : tous les constats élaborés ces dix dernières années sur la crise de légitimité et de financement de la création artistique en Belgique francophone ne sont pas des vues de l'esprit ou des obsessions de Pierre Dherte (et quelques autres).
Les 52 rapporteurs.trices dressent un bilan précis et éclairant, droit dans le prolongement des constats qui avaient déjà motivés le lancement de l'opération de rénovation globale et prospective "Bouger Les Lignes" :
"La FWB devrait se montrer davantage ambitieuse dans sa politique artistique, réduite depuis longtemps à une portion congrue.
Il s’agit d’examiner, dans chaque secteur, toutes les étapes des différentes chaînes de la création, et d’y apporter une aide adéquate, à la hauteur des besoins et de l’ambition des créateurs et créatrices."

Cette dissolution/insuffisance de la politique artistique impacte aussi négativement la médiation et la participation culturelle (et d'abord la démocratisation culturelle) et rend floues les actions dans le numérique. Cette lecture-là est-elle assez nouvelle.
Dans le rapport, l'approche globale vis-à-vis des médias audiovisuels (RTBF, télés locales, plateformes, RTL,...) en regard des enjeux artistiques et culturels est à noter ainsi que l'ouverture à des réflexions écologiques encore trop peu présentes dans le secteur malgré la crise climatique que dissimule actuellement celle du COVID.

Ajoutons ici que le redémarrage des activités artistiques et culturelles s'avère extrêmement difficile sur le terrain, et que les nouvelles préoccupantes provenant des épidémiologistes et virologues font craindre une longue période d'activités réduites.

Cette situation est dramatique car le travail d'écriture, de développement, de répétition n'est pas ou est mal rémunéré. Et donc si les revenus ne viennent plus des activités de diffusion (avec les publics), les seules habituellement payées, et que le travail en amont demeure invisible, que reste-t-il aux artistes d'autre que les allocations, la solidarité ou la charité ? Leurs yeux pour pleurer !

Si les auteurs.trices, artistes-interprètes ont tant besoin d'allocations (de chômage), c'est par ce que dans de nombreux cas personne ne rémunère la réalité de leur travail mais que toutes les institutions en bénéficient, et d'abord le ministère de la Culture en manque criant d'évaluations correctives de ses politiques.
Revoyez à ce sujet mon texte du mois de mai publié ici : "Pourquoi le Gouvernement de la FWB a tort en général et raison en particulier ?".

Augmenter l'emploi artistique décemment rémunéré et revaloriser les rémunérations réelles pour le travail réellement accompli, et notamment celui d'écriture/développement, améliorer les salaires, les prestations, les droits d'auteurs et droits voisins sont pour moi les priorités absolues parmi celles pointées dans le rapport des "40/52", avec le travail de reconnexion, élargie et innovante, avec les publics.
En ce domaine aussi, le travail des créateurs.trices et artistes-interprètes sera déterminant, car c'est leurs créations/prestations qui feront revivre le tissus institutionnel, "in situ"ou davantage "hors les murs" comme le préconisent les "40/52" conduit.es par Céline Romainville et Philippe Kauffmann.
La dimension "locale" de cette relance est soulignée, il faudra impliquer les Villes et Communes, les Provinces et régions, sans esprit de clocher ou de repli.

Comment faire cela concrètement, dans le calendrier de la législature, de façon vérifiable et évaluable, voilà le défi qui nous est lancé collectivement.
Qui, quand, comment, avec quelles ressources, pour quels publics potentiels ?

Telles sont les questions essentielles les rapporteur.euses adressent non seulement aux responsables politiques mais aussi aux directions des institutions subventionnées (théâtres, centres culturels, musées, bibliothèques, centres d'expression, mouvements d'EP, médias...) qui ne pourront se dissimuler une fois de plus derrière l'insuffisance des subsides, du tax-shelter, des aides à l'emploi, des accords non-marchands.
Le temps de la solidarité réelle et de la responsabilité en proportion des moyens gérés est arrivé.

La RTBF, avec près de 300 millions de recettes, 2.000 emplois, une dizaine de médias, devrait porter une action nouvelle à la mesure de ses ressources et des ambitions de son nouveau conseil d'administration présidé par Ecolo, et de Jean-Paul Philippot, et lui permettant de justifier sa dotation (40 % du budget « culturel ») face la concurrence commerciale (TF1 et RTL).
Comment justifier, par exemple, encore que la création cinéma, audiovisuelle et culturelle belge francophone y soit toujours plus marginalisée dans les médias télévisuels, repoussée vers Auvio (audiences dérisoires) et des horaires pour insomniaques ?
Le Rapport des "40/52" pointe aussi ces carences là qui ne pourront être comblées que par une révision des missions et du contrat de gestion.

Ne le taisons pas, ces questions qui engageront des choix collectifs à moyen et long terme et impacteront des dizaines de milliers de vies professionnelles, sont également adressées aux auteurs et autrices, aux artistes, aux technicien.nes et à leurs fédérations. D'autres groupes, « des 10 », « des 50 », Pro Spere ou le PILEn, la fédération des plasticien.nes et la SOFAM, pour ne citer que ces regroupements là, fédés de fédérations, vont pouvoir mobiliser leur expertise dans les instances de consultation de la FWB mais aussi en dehors car c'est évidemment directement, avec chaque niveau de pouvoir, que le dialogue doit être mené et permettre l'élaboration des mesures les plus utiles.
Il n'y a pas ici une sphère politique qui négocierait en son sein, de façon autonome, ne se connectant à la sphère artistique, culturelle, citoyenne et professionnelle que selon son bon vouloir et les modalités qui l’arrangeraient.

"Allo Sophie" et Stillstanding ont montré, avec humour et dignité, sans poujadisme mais avec force et talent, que la sphère artistique et culturelle veut une autre forme de dialogue démocratique avec les responsables publics, qui sont aussi leurs élu.es. Ils veulent participer, co-construire réellement, avec leur connaissance du terrain et la volonté de changer la situation de leur secteur ubérisé.

Afin de continuer à contribuer à l'élaboration de ces mesures nécessaires, celles de la FWB, mais aussi celles annoncées au Fédéral, et celles qui devraient venir des Régions et des pouvoirs locaux, la SACD et la Scam vont innover dans les prochaines semaines et mettre à disposition de leurs 5000 membres, auteurs et autrices, porteurs et porteuses de projets, un outil de participation passionnant, Citizenlab.

La crise du Covid permet paradoxalement d’envisager un autre monde, un autre développement, à vos imaginations !