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Rencontre avec l'avocat Alain Berenboom : Pour un droit d'auteur sur internet

jeudi 7 février 2019

Pour le Magazine des Auteurs et des Autrices #4, consacré au droit d'auteur, Nina Toussaint a rencontré l'écrivain et avocat Alain Berenboom. Il revient sur la Directive européenne sur le droit d'auteur... et sur quelques idées reçues. Voici la version intégrale de leur entretien.


Nina Toussaint :  Depuis que vous travaillez comme avocat, quels sont pour vous les changements les plus importants en matière de droit d’auteur ?

Alain Berenboom : Je pense que le principal changement, c’est l’apparition et l’explosion d’Internet qui a pesé sur l’économie du droit d’auteur. Le pillage sur Internet, devenu systématique, a eu de grandes conséquences sur les revenus des auteurs et la production de leurs œuvres alors que tant d’acteurs d’internet s’enrichissent en utilisant, sans les payer, leurs créations, y compris sur des sites pirates.

L’intérêt de la nouvelle directive, récemment proposée par le Parlement européen, est de revenir aux principes de bases du droit d’auteur, et donc de remettre en vigueur de manière beaucoup plus forte les règles traditionnelles du droit d’auteur, qui veulent que seul l’auteur ou celui à qui il a cédé ses droits, l’éditeur ou le producteur, ait le droit d’autoriser ou d’interdire l’usage de son œuvre et donc de le rémunérer.


NT : Quelles sont les conséquences concrètes de cette nouvelle directive européenne sur le droit d’auteur ?

AB : Une précision d’abord pour dissiper les confusions entretenues par les médias sur le sujet : il n’y a pas (encore) de nouvelle directive sur le droit d’auteur. Il y a un vote du Parlement européen sur un projet, qui doit encore être approuvé par les représentants des États membres, c’est à dire par le Conseil des ministres. Ce qui signifie qu’à l’heure actuelle, le vote du Parlement européen est un signal, et un signal envoyé tant aux auteurs qu’aux grands acteurs de l’Internet, mais c’est un texte qui n’est pas d’application.

Ce projet de directive a pour objet de compléter une directive adoptée en 2001, la « directive sur le droit d’auteur de la société d’information », qui est toujours en vigueur et qui organise quelques règles timides en relation avec l’arrivée de l’internet.

Ce nouveau texte vise à renforcer le droit des auteurs et des artistes, faisant en sorte que désormais tous les grands intermédiaires et tous les gros acteurs de l’internet soient responsables de ce qu’ils donnent à voir à l’internaute, en assurant le filtrage des plateformes qui diffusent des œuvres sans autorisation.

L’idée à terme est de moraliser internet, ce qui commence par un nettoyage des plateformes et sites pirates. Les sites légaux peuvent se développer, eux, sans entraves. Un site légal, c’est un site qui paye ses créateurs, on ne va pas sortir de là.

Donc, il ne créé aucun obstacle à cette pratique de beaucoup de jeunes créateurs de mettre leurs textes, photos, vidéos, gratuitement à disposition des internautes, à les poster sur leurs pages Facebook ou sur leurs sites.

Le projet de directive consiste à renforcer le droit des auteurs qui sont pillés, à s’opposer au pillage. Évidemment, il n’interdit pas aux auteurs, s’ils le souhaitent, de mettre leurs créations en libre accès ou en libre copie.

NT : Parmi les critiques de ce projet de directive, il y a la crainte qu’elle puisse être un frein à une diffusion et à un partage des idées. Est-ce fondé ou pas ?

AB : Cette affirmation me paraît être exactement le genre de fake news propagé par Google et relayées notamment par certains députés européens pour laisser Google, Facebook et d’autres gros acteurs de l’internet poursuivre paisiblement leur enrichissement, indifférents à ce qu’ils donnent accès, mettent en avant des sites et plateformes qui diffusent sans vergogne des œuvres piratées.

On a entendu le même genre d’arguments concernant la liberté des infos.

Ces opposants au texte de la directive prétendaient qu’en reconnaissant aux éditeurs de journaux qu’ils sont propriétaires de leurs articles, il n’y aurait plus de liberté de l’information puisque les journaux pourraient censurer la diffusion des infos. Ce qui est totalement faux : aujourd’hui, déjà, on ne peut pas reproduire un article de journal, sans l’autorisation de l’auteur ou du journal. C’est la base même des droits d’auteur en matière de presse.


Mais on s’est aperçu que cette règle n’était pas respectée par les grands acteurs d’internet, Google et autres, qui font carrément du copier-coller des articles de journaux. Le projet de directive donne aux éditeurs un nouvel instrument pour empêcher ce pillage en leur conférant un droit voisin sur ce qu’ils ont édité.

Ce qui n’empêche pas la liberté de l’info : la convention internationale sur le droit d’auteur, qui date de 1886 garantit déjà la liberté de l’information en matière de droit d’auteur, autrement dit, les informations de presse, les faits divers et autres informations ne sont pas protégeables par le droit d’auteur. Ce n’est pas l’info qui est protégeable, c’est la manière dont un éditorialiste, un chroniqueur en a rendu compte, c’est cela que protège le droit d’auteur et maintenant ce nouveau droit voisin. En revanche, mais vous pouvez toujours librement rendre compte du contenu de l’info.


Les auteurs

Nina Toussaint est réalisatrice de films documentaires, dont La Décomposition de l’âme, coréalisé avec Massimo lannetta, et membre du Comité belge de la Scam.

Écrivain et romancier, Alain Berenboom mène en parallèle une carrière d’avocat renommé en droit d’auteur et professeur à l’Université Libre de Bruxelles.


Pour aller plus loin

  • Pour lire le reste du Magazine des Auteurs et des Autrices #4, « Pourquoi le droit d'auteur ? », c'est ici !
  • Pour tout savoir sur la Directive, c'est là
  • Visitez le site d'Alain Berenboom
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