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À #Avignon, Lucie Yerlès et Gaspar Schelck proposent une conférence circassienne d’un genre nouveau

Mercredi 12 Juillet 2023

Cette année, pour mettre en lumière la présence de ses auteurs et autrices membres programmé.es au Festival OFF d'Avignon, la SACD a souhaité aller à la rencontre de deux circassiens. Nous vous laissons découvrir l'interview passionnante d'Aliénor Debrocq dont la plume a recueilli les propos de Lucie Yerlès & Gaspar Schelck. Leur spectacle, Le Solo, est programmé sur l'île Piot par le Théâtre des Doms du 8 au 16 juillet. À la frontière entre le spectacle de cirque et la conférence gesticulée, Le Solo, est un spectacle à la forme hybride et multidisciplinaire, un spectacle "d'un nouveau genre".

Sur l’île Piot, Lucie Yerlès et Gaspar Schelck proposent une conférence circassienne d’un genre nouveau

 

Comment créer un spectacle de cirque à la fois drôle, émouvant et ouvert à tous les publics ? Le solo répond à cette question dans une forme hybride, à la frontière entre cirque et conférence gesticulée, qui nous éclaire sur les liens entre empathie, émotions fortes et neurosciences…

 

AD : Quel est le point de départ de ce spectacle de cirque atypique ?

LY : J’ai fait des études de cirque au Québec, puis j’ai étudié la psychologie à l’Université libre de Bruxelles où, grâce aux neurosciences, j’ai découvert des choses très éclairantes sur ma pratique de circassienne. Le confinement m’a donné l’occasion de reprendre mes notes sans impératif de production ni de réussite, et de réfléchir à un premier spectacle qui me donnerait la possibilité de transmettre ces connaissances de manière ludique, pour interroger l’essence même du cirque et des émotions qu’il génère. Je voulais aussi déconstruire ma pratique du tissu aérien pour faire quelque chose d’inédit. Au Québec, la plupart des spectacles de cirque produisent toujours les mêmes schémas narratifs, mis à des sauces différentes. C’est typiquement la recette du Cirque du Soleil : un produit marketing très bien rôdé. Moi-même, j’ai été formée pour reproduire cette recette ! L’ambiance générale des écoles est très formatée artistiquement…

 

AD : Et toi, Gaspar, quelle est ta place dans ce processus ?

GS : Je viens de la danse et pas du monde circassien, et j’avais fort envie de faire un spectacle de cirque qui n’en soit pas un. J’ai un esprit de création logique : j’aime contribuer à penser des espaces que je vais trouver beaux. Mon rôle était de réfléchir à comment créer une structure dramaturgique et scénographique pour étonner, surprendre ou rassurer les gens, mais aussi de relire ce qu’écrivait Lucie pour déplacer son point de départ très théorique – les neurosciences – vers le public. Il fallait trouver le juste milieu, ne pas tenir le public par la main, arriver à le surprendre. Avec Lucie, on voulait réfléchir à la manière dont l’industrie du divertissement mise sur les émotions pour « vendre » un produit, mais on a finalement choisi de parler uniquement de cirque… On a aussi beaucoup travaillé sur l’empathie : pour pouvoir parler des émotions, il faut pouvoir en créer, et on ne peut pas créer d’émotions sans empathie. Il faut sans cesse rattraper et consolider le lien avec les spectateurices…

 

AD : Lucie, comment parviens-tu à créer ce lien au public ?

LY : Ce que je préfère, c’est précisément chercher le moyen de rester perméable pour m’adapter à la salle, tout en étant conscience que je dois aussi jouer le spectacle quoi qu’il arrive ! Ce qui m’amuse beaucoup dans ce spectacle, c’est l’adaptation constante aux émotions du public. Parfois il est très concentré, avec peu de réactions, mais j’ai appris à sentir quand les gens sont avec moi. Parler du rapport au public nécessite forcément de tester ce qu’on fait : on a vraiment créé ce spectacle en intelligence collective. C’est tout sauf un solo ! L’avis de tout le monde était important puisque tout le monde est spectateur ou spectatrice – à égalité. Cette horizontalité dans les retours était essentielle. On a testé chacune des sept étapes de travail en utilisant la méthode « Feedback » de DasArts pour avoir des retours selon un protocole précis. Le regard décalé et subtil de Leslie Mannès pour l’aspect chorégraphique et celui de Lorette Moreau pour la dramaturgie nous a aussi beaucoup apporté.

GS : Le spectacle s’est construit grâce à des outils pour travailler dans une bonne ambiance collective. Tout ce qu’on a reçu était un énorme cadeau et une surprise, parce qu’on ne s’attendait à rien.

 

AD : Aujourd’hui, il existe beaucoup de jeunes compagnies qui s’interrogent sur les pratiques circassiennes…

LY : Mon point de départ, c’est le cirque québécois parce que c’est celui que je connais le mieux. Là-bas aussi, il y a toute une jeune génération qui remet en question les pratiques plus traditionnelles du cirque, mais c’est très difficile de former une petite compagnie qui va créer des spectacles politiques. Il y a très peu de place et de subventions pour ça. J’ai vu quelques spectacles vraiment incroyables de jeunes compagnies québécoises, mais elles sont écrasées par les plus grandes. En France aussi, certaines écoles axent encore fort leur formation sur la performance et la virtuosité technique, et pas sur le propos. Or, quand un spectacle se limite à ça, moi, ça m’ennuie très vite. Je crois que, plus jeune, j’aurais été très heureuse de découvrir qu’on pouvait faire d’autres choses !

GS : On a créé un spectacle qu’on avait envie de voir et qui n’existait pas dans le paysage circassien. Moi qui viens de la danse contemporaine, j’avais du mal à trouver des spectacles de cirque qui me plaisaient. On a d’ailleurs éprouvé des soucis de légitimité quand on a commencé parce qu’on empruntait un chemin broussailleux, une forme qu’on n’avait jamais vue. Heureusement, à Bruxelles, tout se mélange et il y a une plus grande hybridité des formes. C’est une richesse.

 

AD : Votre prochain spectacle, Corps Tendres, est prévu pour 2025 ?

LY : C’est une prolongation du Solo car le rapport au public y est encore fort présent, mais la forme sera très différente, immersive et participative, avec quatre interprètes – de la danse à l’acrobatie en passant par la musique live. La notion de plateau sera aussi plus perméable. Je suis de nouveau dans une phase de recherche et de lectures qui me met en joie. Cette fois, j’aimerais aborder la question du toucher dans tout ce qu’elle a d’intime et de politique.

 

AD : Y a-t-il des collaborations dont vous rêvez pour l’avenir ?

LY : J’aimerais beaucoup travailler comme interprète avec la compagnie Chaliwaté, et avec Florence Minder comme collaboratrice artistique. La danse contemporaine est aussi un champ qui m’anime beaucoup. J’aime tellement explorer de nouveaux chemins corporels, de nouveaux liens, des détails dans le mouvement : j’ai pu l’expérimenter en découvrant la danse à Bruxelles !

GS : De mon côté, j’ai envie de créer des choses belles et qui font du bien. La création lumière fait partie d’un processus qui me plait beaucoup mais je sens que j’ai envie d’aller plus loin. De régisseur à éclairagiste, puis créateur d’espaces : comment créer une place qui permette tout cela ? Qu’est-ce qui fait sens et qui fait du lien ? Je veux continuer à prendre soin de choisir les équipes avec lesquelles je travaille pour garder cette notion de soin. Et travailler avec des gens qui m’inspirent.

 

AD : Un coup de cœur récent ?

LY : Le dernier spectacle de Florence Minder, mais aussi le travail d’Adeline Rosenstein et Koulounisation de Salim Djaferi. Ce sont tous des cas d’écoles d’une dramaturgie cohérente et efficace ! J’aime apprendre des choses !

GS : Beaux jeunes monstres du collectif Wow !, et Welcome de Joachim Maudet au Théâtre du Train Bleu, dans le OFF d’Avignon : un trio étrange entre danse et ventriloquie !

 

Propos recueillis par Aliénor Debrocq

 

Le Solo, jusqu’au 16 juillet à 10h sur l’île Piot, dès 10 ans;

Pour aller plus loin

Le Solo, programmé au Théâtre des Doms.

Consultez le site de Lucie Yerlès.

À #Avignon, Lucie Yerlès et Gaspar Schelck proposent une conférence circassienne d’un genre nouveau