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Coup de projecteur sur Jacques Lemaire, Prix SACD Radio 2022 pour "La Terre est plate"

mardi 9 mai 2023

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"NON, mais OUI : la terre est vraiment plate. Puisqu’on vous le dit ! Alors il faut bien qu’il y ait quelque part un père pour se coltiner d’y aller, là-bas, jusqu’au « bout des bouts », jusqu’au bord du « grand-rien » pour le prouver". Jacques Lemaire est l'heureux lauréat du Prix SACD Radio 2022, dont la première réalisation sonore en solo, La Terre est plate, a épaté le comité belge. Découvrez l'éloge écrit par l'un des membres du comité et l'entretien réalisé par Juliette Mogenet sur cette insolite fiction sonore, « magnifique récit de l’amour filial » .

 

L'éloge du Comité belge

NON, mais OUI : la terre est vraiment plate. Puisqu’on vous le dit ! Alors il faut bien qu’il y ait quelque part un père pour se coltiner d’y aller, là-bas, jusqu’au « bout des bouts », jusqu’au bord du « grand-rien » pour le prouver. Et la fille de ce « platiste », acharné et affectueux, va accepter le chemin qu’il s’est choisi. Lui, partit sur ces plaines glacées et venteuses, autant que dans ses délires, elle le suivra jusqu’au bout grâce aux nouveaux modes de communication.

Prix 2022 banners Web JacquesLemaire CitationCette très belle réalisation est tout autant un récit épistolaire moderne, qu’une carte postale de cette quête existentielle, qu’un constat de notre univers de juxtapositions de soliloques sous forme de « vocals », ici utilisés comme matériaux granuleux, comme nouvelles traces sonores des existences. Mais, c’est aussi un magnifique récit de l’amour filial.

 

David Chazam, Membre du Comité belge de la SACD

 

 

Le goût du vrai et du doute, portrait réalisé par Juliette Mogenet

 

Premier projet lauréat de l’appel à fictions sonores organisé par le Centre Wallonie-Bruxelles et le Paris_Festival Interférence_s, soutenu par l’ACSR, La terre est plate est aussi la première réalisation sonore de Jacques Lemaire en solo, après plusieurs projets menés collectivement. Léon, membre de la communauté « platiste » et adepte de cette théorie, y part pour l’Antarctique à la recherche du bout du monde afin de prouver à sa fille adolescente que la terre est bien plate. Il lui laisse des messages vocaux pour lui raconter son périple.

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Comment t’est venue l’envie d’inventer l’histoire de Léon et sa quête de la terre plate ? Quelle a été la genèse et le contexte de production et de création de ce projet ?

Jacques Lemaire Il y a deux ans, j’ai entendu parler de Mike Hugues, surnommé MadMike, un homme qui a construit une fusée à hydrogène pour atteindre la ligne de Kármán. Il était adepte de la théorie platiste et voulait vérifier et prouver que la terre était plate. Sa fusée s’est crashée et il est décédé. J’ai été bousculé par cette découverte, par son décès : j’ai trouvé assez incroyable le côté Jules Verne du type qui construit lui-même son vaisseau, mais aussi l’aspect jusqu’au-boutiste de sa croyance. J’ai commencé à m’intéresser à cette théorie de la terre plate et à celles et ceux qui y adhèrent, et je trouvais que ça faisait un bon sujet. Il y avait cet appel à projets pour une fiction courte et donc j’ai déposé un dossier et j’ai obtenu la bourse. Je suis allé en résidence à Marseille pour écrire le script du projet, et j’y ai rencontré le chercheur et artiste Jérémie Brugidou. On a échangé et réfléchi ensemble à d’autres possibles pour le projet, il m’a aidé à créer des résonances entre le contenu et le format, à scénariser l’histoire en ayant en tête ces notions de rondeur, de platitude.

Ensuite, on se voyait bien partir en Antarctique mais on n’avait pas vraiment le budget alors on a tourné dans les Hautes Fagnes, en Belgique, avec Michel Schillaci, qui joue Léon. Je voulais qu’on puisse s’imaginer être en train de vivre une aventure : on enregistrait à la nuit tombante, dehors, dans le froid, isolés dans la campagne. Michel a peur des loups, et il était vraiment dans cette panique de ne pas savoir ce qui pouvait surgir derrière lui. On a ensuite enregistré en studio avec les comédiens norvégiens (Ingvild Jacobsen, Andreas Løhren et Randi Johanne Hoseth) et avec Charlotte Schillaci, qui joue le rôle de Teresa, la fille de Léon. Ensuite, j’ai enchaîné avec le montage en intégrant aussi la création musicale de Bruce Wijn et finalement le mixage, par Aurélien Lebourg.

 

A la base, tu viens du milieu de l’audiovisuel : tu as étudié la réalisation cinéma à l’IAD. Pourquoi et comment as-tu bifurqué vers la création radiophonique ?

J’ai fait quelques projets audiovisuels en sortant de l’IAD, mais c’étaient plutôt des productions maison, assez anonymes. Finalement, je me suis rapidement tourné vers la création radiophonique, notamment avec Zone 58, que j’ai co-réalisé avec Gaspard Audouin et Maxime Renaud. Je me suis senti bien dans ce média que j’avais déjà un peu expérimenté pendant mon master, et que je consomme allègrement comme auditeur par ailleurs. C’est un médium qui m’intéresse : je trouve qu’il est possible de faire plein de choses avec le son. En radio, les récits sont plus ouverts, plus vastes, on peut facilement planter des décors, raconter des histoires. Dans La terre est plate, on voyage pendant 20 minutes en Antarctique avec Michel, et on y croit ! Arriver au même effet avec des images n’aurait pas été possible dans les mêmes conditions de tournage… Et puis en documentaire par exemple, tu as un accès différent aux gens avec un micro. La caméra, elle peut mettre une distance, impressionner, faire peur. J’étais à Sainte-Soline pendant les manifestations : personne n’aurait eu envie de montrer son visage devant une caméra, mais ça ne dérange personne que tu prennes du son. J’ai quand même un projet de film qui est actuellement en développement, Bienvenue en Antarctique, dont on co-écrit le scénario avec Michel Schillaci, justement : une fiction dans laquelle un Youtubeur spécialiste des questions de conspirationnisme embauche un platiste pour partir en expédition…

 

Tu vas donc décliner et approfondir ce sujet de la théorie platiste et de ses adhérents sous un autre format, avec une autre histoire… Qu’est-ce qui t’intéresse dans ce sujet, qu’est-ce qu’il cristallise ?

Je trouve ça fascinant que des personnes puissent adhérer à une croyance qui paraît tellement loufoque. Ça dit beaucoup, je trouve, du monde dans lequel on vit. Il y a une phrase d’Etienne Klein que j’aime beaucoup, qui dit : « Le goût du vrai disparaîtra à mesure qu’il garantira moins de plaisir ». J’ai l’impression qu’il y a une sorte de désenchantement général, de difficulté à vivre au monde et en même temps un déclin des croyances métaphysiques. Je pense que plein de gens se cherchent de nouvelles croyances, de nouvelles fictions, en fait : la théorie platiste serait une réponse à ce besoin. Le succès de cette théorie, ou de théories complotistes comme celle des reptiliens, par exemple, dit aussi beaucoup de la désinformation, du phénomène des bulles d’idées produites par les logarithmes de Youtube ou des réseaux sociaux. Je trouve intéressant de questionner comment l’appareil numérique peut finalement influencer nos croyances, et ainsi nos vies, et même la géopolitique. Je travaille aussi sur un docu fiction radiophonique de 50 minutes qui s’appellera Au-delà vérité dans lequel je questionne ce concept de vérité, en mêlant journalisme, sociologie, philosophie et neurosciences.

 

Dans La terre est plate, en tant qu’auditeur.ice, on se trouve en situation d’empathie avec le personnage de Léon : on peut trouver farfelue la théorie à laquelle il adhère, mais on ne le juge pas lui, en tant que personne, il n’y a pas de moquerie. Comment as-tu construit son personnage ?

Utiliser la fiction permet d’éviter le côté moqueur que pourrait avoir un documentaire sur ce type de sujets. Ca permet aussi d’évacuer la morale, de ne pas être dans la construction d’un message, d’une idée à transmettre à l’auditeur. La fiction, ça raconte une histoire, et de cette histoire peuvent surgir plein de choses inattendues : des émotions, des questions, de la poésie… Au début, je voulais raconter l’histoire de quelqu’un qui fabriquait une fusée. Puis, en me mettant un peu à la place des personnes pour qui la terre est plate, je me suis dit que pour vérifier cette théorie, il faudrait en fait aller au bout du monde, en Antarctique ! Et ce qui m’intéressait, c’était de raconter une histoire qui croise récit d’aventure et récit existentiel… Les moments de crise de vie, la crise de la cinquantaine notamment, et comment elle s’exprime, je trouve ça assez intéressant à mettre en récit. Léon est aussi touchant parce qu’il est dans ce moment de crise, et qu’il y est en relation avec sa fille : c’est à elle qu’il s’adresse, on comprend que leur relation a évolué parce qu’elle a quitté l’enfance et est devenue critique par rapport à son père et à ses croyances. Il y a aussi l’envie de ne pas tout définir, de ne pas trancher, de rester dans une forme de doute : le doute est essentiel, il y a mille nuances entre le blanc et le noir.

 

Merci Jacques pour cet entretien, et au plaisir de te retrouver avec tes projets à venir Bienvenue en Antarctique (fiction audiovisuelle) et Au-delà vérité (docu fiction radiophonique).

 

Juliette Mogenet

 

Pour aller plus loin

La Terre est plate est accessible à l'écoute sur Radiola.

Retrouver toutes l'actualité de Jacques Lemaire sur son site internet.

Ecoutez Zone 58, un podcast réalisé par Jacques Lemaire, Gaspard Audoui, & Maxime Renaud.

 Voir l'ensemble du Palmarès.

 

 © Créons production

 

 

Coup de projecteur sur Jacques Lemaire, Prix SACD Radio 2022 pour "La Terre est plate"
© Quentin Malingrey

Auteur, réalisateur et monteur de La Terre est plate et de Zone 58, Jacques Lemaire développe en ce moment une fiction cinéma : Bienvenue en Antarctique. Il produit par ailleurs une création radiophonique appelée Au-delà vérité, mécanique des récits. De la production à la mise en scène, en passant par l'orchestration d'ateliers de jeu face caméra et la conception d'oeuvres radios indépendantes, Jacques Lemaire arpente les champs du son et de l'image, en se questionnant sur nos rêves, nos rapports à la représentation, mais aussi nos entraves à l'existence.